Oui, ma drôle d'histoire avec les mots...
On n'a pas toujours été copains eux et moi. Sans doute, nos routes se sont-elles toujours croisées, mais on se regardait en chiens de faïence, avec l'envie de faire quelque chose ensemble, mais avec la peur de m'enfermer dans une prison de lettres ou d'être chassé de la communauté humaine, et la méfiance que les mots ressentaient à mon égard.
Les mots, je les ai entendus souvent quand j'étais dans le ventre de ma mère. Alors que je me baignais comme chaque jour dans ma piscine amniotique, ça causait au dehors, je veux dire : derrière la paroi de peau. Une voix grave parfois et souvent une autre très douce qui s'adressait à moi, puis je sentais deux épaisseurs de chaleur caresser mon habitation de chair (j'ai appris plus tard qu'il s'agissait des mains de ma mère).
Ces mots, je les retenais par coeur. Je me souviens de :" ça va mon bébé ?". Et quand je m'agitais, c'était : "Calme-toi mon Ange" et les deux épaisseurs de chaleur s'en venaient caresser ma maison. IL y avait encore :"Bientôt tu seras là, mon bébé !". je ne comprenais pas trop, car j'étais déjà là. C'est après que j'ai compris qu'elle parlait d'un changement atmosphère, et pas qu'un...
En effet, quand je suis sorti du ventre de ma mère, avec ce bonheur de la voir enfin, au moment où elle m'a pris dans ses bras, j'ai crié : " Je suis là Maman ! tu vois, tu m'attendais. Maintenant, je suis avec toi."
Elle a poussé un grand cri. La sage-femme s'est évanouie. Il y avait beaucoup de lumière et mon eau de piscine avait disparu. Plein de monde est arrivé. ça hurlait de partout. J'ai eu peur, on me regardait comme si je n'étais pas un bébé. Certains osaient à peine me toucher, comme si j'étais un monstre. Quelq'un a dit "Il a parlé". je ne voyais pas ce qu'il y avait de si anormal puisqu'on m'avait déjà parlé pendant neuf mois. Je croyais faire plaisir. Mes trois malheureuses petites phrases avaient déclenché le branle-bas de combat.
J'ai osé un :" Ben qu'est-ce qu'il y a ?".
Alors là, ça a été la panique générale, pire qu'une bombe atomique.
Cette expérience m'a appris à me méfier des mots. Je n'ai plus parlé pendant de longues années.
Quant à exprimer mes sentiments, mes pensées intérieures....
Heureux les fêlés parce qu'ils laissent entrer la lumière...